Fiscalité des accords de cash pooling au Portugal : dilemmes, évolutions récentes et perspectives

Le cash pooling — instrument centralisé de gestion de trésorerie visant à optimiser la liquidité, réduire les coûts financiers et limiter le recours au financement externe — est désormais courant, notamment dans les groupes à dimension internationale. La question qui suscite le plus d’incertitudes parmi entreprises, conseils et administration est de savoir quand et dans quelle mesure ces opérations sont soumises à l’impôt du timbre (Imposto do Selo, « IS ») au Portugal, et quelles exonérations peuvent s’appliquer.

Forts de l’expérience de notre cabinet auprès de clients nationaux et multinationaux, réalisant des opérations intragroupes dans plusieurs États membres, nous passons en revue les principaux enjeux, les risques, ainsi que les évolutions législatives et jurisprudentielles récentes à prendre en compte pour une gestion prudente de ces structures.

 

Cadre juridique et problématique historique

Le régime applicable à l’IS sur les opérations financières, y compris le cash pooling, est régi par le Code de l’impôt du timbre (CIS), notamment les dispositions relatives à l’utilisation de crédit. On se réfère également au Tableau général de l’impôt du timbre (TGIS) — notamment au point 17.1.4 relatif à l’utilisation d’un crédit sans terme déterminé ou déterminable — pour cerner l’assiette et le fait générateur.

Historiquement, le régime s’appliquait sous réserve d’éventuelles exonérations, elles-mêmes conditionnées (par ex., relation de contrôle/groupe entre les entités, durée inférieure à un an, finalité de couverture de décalages de trésorerie, etc.).

Parmi les points de controverse les plus fréquents :

  • Territorialité/résidence : traitement lorsque le prêteur et/ou l’emprunteur est non-résident, notamment au sein de l’UE ou d’un État lié par convention de non-double imposition ;
  • Fait générateur de l’impôt : octroi vs utilisation du crédit ; obligations déclaratives et de liquidation ; détermination du redevable ;
  • Critère de durée/court terme : conditions d’accès aux exonérations ;
  • Exigences formelles et substantielles : preuve du but de trésorerie, appartenance au même groupe au sens juridique, absence de montage abusif.

 

Développements récents: législation et jurisprudence

  • Loi de finances pour 2020 — introduction explicite d’une exonération d’IS pour les prêts consentis dans le cadre d’un dispositif centralisé de trésorerie, au profit d’entités liées par un rapport de contrôle ou d’appartenance au même groupe.
  • Restriction jusqu’en 2021l’article 7, n.º 2, du CIS excluait l’exonération lorsque le débiteur n’était pas résident au Portugal ; l’exonération ne jouait que si l’emprunteur était résident (ou dans certains cas intra-PT), en présence d’un rapport de groupe.
  • Modifications en 2022 — la Loi de finances pour 2022 a élargi les règles de territorialité pour inclure les situations où le créancier ou le débiteur a son siège ou sa direction effective dans un autre État membre de l’UE ou dans un État lié au Portugal par convention de non-double imposition, ouvrant la voie à des exonérations en contexte transfrontalier sous conditions.
  • CJUE, aff. C-420/23, 20 juin 2024 — arrêt décisif confirmant l’incompatibilité, avec l’article 63 TFUE, des régimes qui refusaient l’exonération aux opérations de trésorerie à court terme lorsque l’emprunteur était non-résident dans un autre État membre, sans justification objective fondée.

 

Expérience pratique avec les clients de Belzuz

Nombre de groupes ont renoncé à formaliser des cash pools transfrontaliers ou ont subi des liquidations de droit de timbre lorsque le prêteur ou l’emprunteur était non-résident, du fait d’une lecture restrictive de la territorialité.

Lorsqu’une exonération était sollicitée, les échanges avec l’administration portugaise (Autoridade Tributária – AT) se focalisaient souvent sur la preuve de la finalité de trésorerie (couverture de décalages), la durée < 1 an, la relation de groupe au sens légal, et la qualité de la documentation.

À la lumière des modifications de 2022 et de l’arrêt CJUE 2024, plusieurs clients ont reconfiguré leurs structures de cash pooling pour sécuriser l’exonération, y compris avec entités d’autres États membres ou prêteurs non-résidents, sous réserve de convention applicable.

Dans certains dossiers, il a été possible d’obtenir la réclamation administrative et/ou d’engager le contentieux pour récupérer de l’IS indûment payé sur des périodes antérieures à 2022, en particulier lorsque l’emprunteur était résident dans un autre État membre.

 

Points d’attention et risques

  • Respect strict des conditions légales : l’exonération n’est pas automatique (durée, rapport de groupe, finalité de trésorerie, convention applicable, etc.).
  • Interprétations administratives : malgré les évolutions, l’AT n’aligne pas toujours sa lecture sur le droit de l’UE dans les cas limites ; il est prudent de bien documenter les opérations, de formaliser des contrats de cash pooling clairs, d’enregistrer les soldes, et de prévoir des critères de rémunération
  • Jurisprudence à venir : d’autres litiges peuvent naître, notamment dans des schémas internationaux complexes, avec inversions de positions créditeur/débiteur ou l’intervention d’intermédiaires bancaires.
  • Coûts de conformité et de contrôle : documentation, analyse des risques, prix de transfert (taux d’intérêt), et prévention des soupçons d’abus.

 

Perspectives et recommandations

  • Structurer les cash pools pour remplir les conditions d’exonération : durée < 1 an ou finalité de court terme, gestion de la liquidité, lien groupe/contrôle.
  • Vérifier la résidence/direction effective des parties et l’existence d’une convention entre le Portugal et l’État du prêteur/de l’emprunteur.
  • Documenter solidement : contrats écrits, clauses identifiant clairement le prêteur et l’emprunteur, nature des flux, rémunération, échéances et méthode de calcul de l’utilisation du crédit.
  • Simuler les scénarios fiscaux en amont (avec/sans exonération), en évaluant coûts et risques de liquidation.
  • Rétro-analyse : pour les structures qui ont supporté de l’IS jusqu’en 2022, réaliser une revue des périodes antérieures (notamment jusqu’au 1er semestre 2022) afin d’identifier d’éventuelles réclamations contre des liquidations indûment émises, à la lumière de l’arrêt CJUE 2024.

 

Conclusion

Le cadre portugais évolue vers un régime plus favorable au cash pooling, y compris en contexte international. L’arrêt de juin 2024 et les lois de finances récentes offrent une base plus sûre pour l’application des exonérations d’IS dans des cas autrefois incertains.

Toutefois, rien n’est automatique : tous les cash pools doivent être soigneusement structurés, conditions vérifiées, documentation robuste, et stratégie contentieuse prête, si nécessaire.

L’équipe fiscale de Belzuz Abogados met son expérience à votre service pour sécuriser vos structures et réduire vos coûts.